Après la dégafamisation, la re-gafamisation ?

Il y a bientôt 3 ans, j’entamai une dégafamisation avancée de mes outils et usages numériques. Je souhaitais répondre à la question suivante : peut-on se libérer des GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) et de leurs services au quotidien ?
Lors du point d’étape n°2, il a été établi que cette volonté ne pouvait fonctionner que partiellement, pour diverses raisons. Près de deux ans et une reconversion plus tard, je me retrouve à faire le chemin inverse : regafamiser certaines pratiques, notamment professionnelles.
Faire une telle marche arrière est-il une décision libre et consciente ? Ou s’agit-il d’une nécessité réelle ? J’ai voulu faire le point, et mettre en perspective un tiraillement éthique ressenti par de nombreux professionnels d’internet.
Au menu ce jour d’hui :
- Faut-il abandonner la dégafamisation, ce beau projet qui rime avec travail de Sisyphe ?
- Quand regafamisation rime avec impératifs professionnels
- L’éthique, entre rigidité des principes et souplesse d’application
Où en est-on de la dégafamisation ?
Pour rappel, la dégafamisation consiste à s’affranchir de l’ensemble des services fournis par les grandes entreprises du web (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft). Il s’agit d’un sujet de débat important pour de nombreux militants du logiciel libre et de la vie privée en ligne.
J’avais consacré deux articles à la stratégie pour y parvenir :

Or, ajouter quelques nuances et mises à jour supplémentaires me semble important, autant pour l’aspect technique et éthique que par envie de transparence.
Passer outre une mission (quasi) impossible
Si la dégafamisation est ton cheval de bataille, comme ce fut le cas pour moi ces dernières années, tu évolues dans un microcosme militant et minoritaire, aux belles valeurs mais à contrecourant du web actuel.
Dans un environnement technologique dominé par les mastodons de la Big Tech, il est impossible de dégafamiser à 100% - à moins d’opter pour des solutions radicales, susceptibles de te marginaliser ou de te pénaliser.
Ce constat, je le faisais déjà il y a près de 2 ans.
Souhaites-tu revenir à un dumb-phone, ou devenir injoignable pour ta famille ou tes amis ? J’en doute.
Toi et moi, nous aurons beau jeu de passer notre PC sur Linux, le rapport de force demeurera inégal tant que l’Infra-Structure sera développée et maintenue par des acteurs privés ou étatiques.
L’infrastructure d’internet (notamment les câbles sous-marins ou les serveurs) est d’ores et déjà en majorité la propriété des GAFAM. Prétendre s’affranchir de leurs services tout en utilisant leur toile est un non-sens.
Certes, il est essentiel de réduire nos dépendances technologiques. Il faut cependant aussi déterminer dans quelle mesure un tel projet est réaliste, et jusqu’où porte ton militantisme.
Pourquoi abandonner la dégafamisation et regafamiser ?
Admettons qu’il soit envisageable, à titre personnel, de faire des choix radicaux en faveur d’une dégafamisation. Il en va autrement dès que tu te sers d’internet pour des projets professionnels.
Avant de passer formateur, j’ai testé un peu tout et n’importe quoi en matière d’outils SEO et webmarketing.
N’en déplaise aux adeptes du logiciel libre ou indépendant, vient un moment où la majorité des outils pertinents pour la communication, le référencement naturel ou le marketing en ligne sont des solutions connectées de près ou de loin aux GAFAM.
Être présent en ligne impose de jouer avec cet écosystème, d’adopter une posture de hacker pour en trouver les failles.
Mobiliser Google pour le référencement naturel (SEO)
Je ne cesserai jamais d’avoir une posture critique envers Google et ses stratégies publicitaires.
Cependant, à ce stade, cessons l’hypocrisie : plus de la moitié du trafic vers mon site (52% au cours des 12 derniers mois) provient de ce moteur de recherche. Qui lui-même est utilisé au quotidien par 87.65% d’internautes en France (source StatCounter, janvier 2025).
Pour te donner une idée, voici les principes sources menant vers mon site (d’après Goat Counter) :

Si tu as un site, quelle est la proportion de visites issues de Google ou Bing ?
Réfléchir à ses solutions SEO
Dans la foulée, note qu’une vaste majorité de chargés de projets SEO utilise Google Console pour analyser et optimiser leurs sites. C’est une référence incontournable, qui était déjà utile lors de mes débuts de rédacteur web il y a plus de 10 ans.
Se détourner de cet outil, par éthique, a été un choix intéressant.
Cependant, le refuser (pour des projets personnels et indépendants) ne signifie pas qu’on puisse toujours l’éviter lors de missions professionnelles. Pour les employeurs, savoir s’en servir est un prérequis.
Impossible donc de plastronner en t’affirmant que je ne m’en sers au grand jamais.
Quant aux alternatives que j’ai privilégiées jusqu’à présent, elles ont aussi leurs propres limites, à compenser parfois.
Cela me mène à une question désagréable : pourquoi s’amputer de certains usages professionnels, alors que le grand public lui-même se moque éperdument de la préservation de sa vie privée en ligne ?
Quitte à travailler du SEO, autant revenir dans le giron de Google. Il sera toujours temps de passer à une alternative plus tard. Matomo, peut-être.
Se lancer sur Instagram (à reculons)
Tu l’as peut-être remarqué, le logo d’Instagram est désormais présent sur mon site, ce qui n’était pas le cas auparavant. Pourquoi succomber aujourd’hui à la sirène des médias sociaux ?
Le yoga est une discipline qui nécessite de pouvoir montrer ce que l’on fait, que ce soit en vidéo ou en photos. D’après les stats, Instagram est le premier levier de visibilité pour tout professeur de yoga.
Durant ma formation, suggérer de se passer d’Instagram était un sujet de débat... qui a vite tourné court. Pour cause : c’est là qu’est le public.
En marketing, ce sont les pratiques de ton audience qu’il faut prendre en considération. Pas les tiennes, aussi éthiques soient-elles.
Je n’ai jamais aimé les réseaux sociaux, et ça ne risque pas de changer de sitôt.
Mais, pour le meilleur et pour le pire, ça fait partie du jeu.
Alors que je me faisais une fierté de n’avoir jamais ouvert de compte sur Instagram, voilà que j’y suis.
Pas encore très actif, mais ce n’est qu’une question de temps.

Et l’éthique dans tout ça ?
Tu le sais, je mets en avant la protection des données personnelles.
C’est parce que j’ai travaillé dans le webmarketing pendant des années avant de devenir formateur que j’ai développé une perspective critique sur les évolutions d’internet.
Or, avec le recul et l’expérience, je peux te confirmer qu’opter systématiquement pour des options dites ‘alternatives’ a été un frein en tant que freelance. Je m’en suis mordu les doigts, et ne te le souhaite pas.
Si ton éthique, aussi belle soit-elle, revient à te tirer une balle dans le pied, alors elle s’avère problématique.
Sans aller jusqu’à se renier, il est parfois nécessaire de trouver des compromis acceptables, quitte à faire bouger tes propres lignes.
Après tout, concernant les pratiques cités plus haut, il n'y a ni mise en danger de la vie d'autrui, ni mort d'homme.
À ton tour
Peut-être subis-tu à l’occasion de tels dilemmes, qui t’obligent à remettre en question tes convictions personnelles et tes impératifs professionnels.
Prends le temps de les identifier, puis de discerner les compromis acceptables et ceux qui ne le sont pas.
Une éthique irréaliste est un idéal ; une éthique réaliste est un garde-fou.
👋 Merci de m'avoir lu ! Je t'apprécie d'autant plus que tu es allé jusqu'au bout.
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Florent
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