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đŸ’„ Faut-il en finir avec la prescription de formations de bureautique ?

Et si, dans le cadre de la médiation numérique, nous remettions en question la prescription des formations en bureautique ?
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Photo by Wes Hicks / Unsplash

Il n’échappera Ă  personne que les parcours de formation Ă  la bureautique occupent une place de choix pour les acteurs de la mĂ©diation numĂ©rique. Or, j’aimerais poser la question qui fĂąche : puisque 13 millions de personnes se trouvent toujours en situation d’illectronisme en France en 2023, l’ampleur des moyens fournis sur cette thĂ©matique est-elle une stratĂ©gie adaptĂ©e ? Ou devraient-ils ĂȘtre redĂ©ployĂ©s vers d’autres compĂ©tences numĂ©riques ?

Je vous propose d’aborder le sujet de façon constructive et critique, afin de participer au dĂ©bat collectif sur l’inclusion numĂ©rique.


Observations d’un mĂ©diateur numĂ©rique sur le terrain

Pour les besoins de cet article, je me base sur des observations de terrain effectuĂ©es en tant que conseiller numĂ©rique France Services et mĂ©diateur auprĂšs d’un public adulte, en proie Ă  des problĂ©matiques d’insertion. Les analyses qui suivent expriment une rĂ©flexion critique personnelle en rapport avec ces expĂ©riences professionnelles ; celles-ci n’engagent en aucun cas les structures ou partenaires pour lesquelles j’ai pu travailler ou travaillerais actuellement.

Ces prĂ©cisions faites, entrons dans le vif du sujet et voyons comment les enjeux liĂ©s Ă  la bureautique abordĂ©s en mĂ©diation numĂ©rique s’invitent dans une perspective sociologique Ă©largie.

L’urgence de la bureautique dans la recherche d’emploi

TrĂšs concrĂštement, les deux principales demandes d’accompagnement liĂ©es Ă  la bureautique auxquelles j’ai affaire sont les suivantes : la crĂ©ation ou la modification d’un CV, et l’édition de lettres de motivation. Il s’agit presque toujours d’une urgence momentanĂ©e (entretien prochain, rĂ©clamation de PĂŽle Emploi, etc.) dont personne d’autre ne veut se charger.

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Dans ce contexte, la bureautique apparait avant tout comme un besoin ponctuel, et non comme un ensemble de compétences numériques essentielles au quotidien.

Par ailleurs, la majoritĂ© des usagers s’adresse aux CNFS avec l’espoir que l’on va « faire pour eux » (comme pourrait le faire un conseiller en emploi ou en insertion, voire un Ă©crivain public), et non pas « accompagner vers l’autonomie numĂ©rique » (fonction du conseiller numĂ©rique). J’en ai dĂ©jĂ  parlĂ© ailleurs ; il y a une confusion gĂ©nĂ©rale des rĂŽles entre les mĂ©diations numĂ©rique et sociale. Autant dire que les publics en situation d’illectronisme dĂ©chantent quand on leur explique qu’ils devront utiliser des logiciels qu’ils ne maĂźtrisent guĂšre.

Quelle est la perception de la bureautique ?

Bref, on peut rĂ©sumer la situation de la façon suivante : pour une grande partie de la population accompagnĂ©e par les mĂ©diateurs numĂ©riques, l’imaginaire associĂ© Ă  la bureautique se rĂ©duit Ă  rĂ©diger une lettre de motivation (ou un courrier administratif) et Ă  faire son CV.

Soyons francs, et admettons qu'avec deux activitĂ©s aussi irritantes que rĂ©barbatives pour n’importe qui, ça ne donne guĂšre envie aux gens d’approfondir la question ou de se former.

Ateliers numériques de formation bureautique

Laissons de cĂŽtĂ© les urgences gĂ©rĂ©es dans le cadre France Services pour nous pencher sur l’apprentissage de la bureautique.

Puisque j’exerçais jusqu’à il y a peu dans un centre de formation en tant que conseiller numĂ©rique pendant 18 mois, j’ai eu l’occasion de dĂ©velopper et dĂ©ployer des ateliers liĂ©s au traitement de texte, aux tableurs et aux prĂ©sentations. Ceux-ci se dĂ©roulaient soit sous forme de parcours, soit en one-shot. Le public s’inscrivait soit de son propre chef, soit dans la foulĂ©e d'une prescription par PĂŽle Emploi ou de structures d’insertion. J’en ai profitĂ© pour mener mes propres observations de terrain et dresser plusieurs constats, que je vais rĂ©sumer ci-aprĂšs.

La bureautique se résume à Microsoft

En dĂ©pit d’évolutions progressives en faveur du logiciel libre, la majoritĂ© des acteurs institutionnels qui enjoignent au public de se former Ă  la bureautique partent du principe que cette derniĂšre se rĂ©sume au pack Office dĂ©veloppĂ© par Microsoft.

J’ai pu faire le test : proposez un atelier numĂ©rique sur le traitement de texte en remplaçant Word ou Excel par leurs alter ego Writer ou Calc (Ă©ditĂ©s par LibreOffice), et aucune structure ou presque ne vous enverra qui que ce soit. Par ailleurs, le public lui-mĂȘme ne s’y intĂ©ressera pas, puisque souvent il ne connaĂźt de la bureautique que les produits de Microsoft.

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Il s’agit d’un biais de reprĂ©sentation, car, comme pourront le confirmer formateurs et mĂ©diateurs numĂ©riques, les deux options se valent. Disons que le travail marketing de Microsoft a portĂ© ses fruits.

L’aspect Ă©conomique n’est pas pris en compte

Une bonne partie des publics en situation d’illectronisme que nous devons former souffre de diverses formes de prĂ©caritĂ© ; je songe notamment Ă  la prĂ©caritĂ© financiĂšre. Or, le modĂšle Ă©conomique de Microsoft repose aujourd’hui sur le paiement d’une licence – un coĂ»t non nĂ©gligeable pour des personnes Ă  bas revenus.

Si vous n’ĂȘtes pas en mesure de payer cette licence, ces logiciels sont inaccessibles. Dans ces conditions, il devient difficile, voire impossible, de s’entraĂźner.

Peut-on dĂ©cemment, Ă  niveau institutionnel, pousser un public fragilisĂ© vers des softwares payants, qu’ils n’utiliseront que de façon marginale au vu de leurs pratiques numĂ©riques ? En tant que professionnel, j’éprouve un doute Ă  ce sujet, surtout alors qu’il existe des alternatives gratuites.

Un public centré sur le smartphone

DĂ©tail qui a son importance : les logiciels de bureautique (Pack Office, Libre Office ou autre) sont avant tout destinĂ©s Ă  une utilisation sur ordinateur. Or, l’écrasante majoritĂ© du public envoyĂ© en ateliers de mĂ©diation numĂ©rique s’appuie sur le smartphone pour les usages liĂ©s au digital.

De deux choses l’une : pour ces apprenants, le PC est une terre exotique, qu’il faut apprivoiser et explorer ; et, surtout, la bureautique est nativement quasi inexistante de leur environnement numĂ©rique.

Un dĂ©faut d’orientation du public

J’ai pu le constater chez les jeunes comme chez les plus anciens : il est ardu de former Ă  la bureautique un individu incompĂ©tent sur ordinateur. J’ai vite cessĂ© de compter les personnes qui m’étaient confiĂ©es pour un atelier bureautique alors qu’elles ignoraient au prĂ©alable comment utiliser un clavier ou une souris – mĂȘme si elles annonçaient ĂȘtre Ă  l’aise avec leur tĂ©lĂ©phone. Se posait Ă  chaque fois la question suivante : « Que fait cette personne ici alors qu’elle n’a pas les prĂ©requis ? ».

La rĂ©ponse est aussi simple que consternante. Dans beaucoup de cas, les acteurs institutionnels et structures d’insertion sociale ne font pas de diagnostic des compĂ©tences numĂ©riques en amont, et, en dĂ©pit de leur bonne volontĂ©, orientent donc mal les bĂ©nĂ©ficiaires qu’elles accompagnent. Quant Ă  ces derniers, ils n’ont souvent pas conscience de l’écart entre les environnements PC et smartphone lors de l'inscription.

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Pour ces raisons, je recommande de systématiquement poser la question des compétences numériques au moment des inscriptions en atelier numérique. Ceci limite (en partie) les déconvenues.

A contrario, les personnes qui possĂšdent dĂ©jĂ  un ordinateur sont plus Ă  l’aise quand il faut aborder la bureautique. Le fait d’avoir l’outil Ă  disposition ne garantit pas la maĂźtrise de celui-ci, nĂ©anmoins l’appropriation de la logique logicielle est facilitĂ©e.

L’entraĂźnement, la discipline et la volontĂ©

Encapaciter les individus le temps d’un atelier ou d’une formation, c’est bien. Que lesdits individus maintiennent ces capacitĂ©s aprĂšs la formation, c’est mieux. Est-ce un objectif rĂ©alisable pour autant ? Plusieurs obstacles se dressent entre nos publics et leur autonomie numĂ©rique.

Devenir autonome avec des logiciels de bureautique suppose d’avoir l'occasion de s’entraĂźner. Comme pour n’importe quel domaine, c’est la rĂ©gularitĂ© de la pratique qui permet l’apprentissage et le dĂ©veloppement de connaissances pĂ©rennes. Or, n’oublions pas que tout entraĂźnement implique une forme d’autodiscipline et de volontĂ© que tout le monde n’est pas en mesure de dĂ©ployer. En un mot, l’engagement.

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Loin de moi l’idĂ©e de faire injure aux personnes que j’accompagne, mais, si je suis rĂ©aliste, les individus dĂ©sireux d’approfondir la maĂźtrise d’un logiciel une fois leur formation achevĂ©e constituent une minoritĂ©.
Il s'agit de l'éternelle problématique à laquelle sont confrontés les pédagogues.

Affronter le dĂ©sintĂ©rĂȘt et l’oubli

J’ai eu maintes occasions de relever le manque d’intĂ©rĂȘt initial pour la bureautique de la part des publics. Une majoritĂ© vient en parcours de formation parce qu’ils « doivent le faire » (autrement dit : contraints par leur parcours d’insertion). Par ailleurs, pour peu qu’on leur pose la question, nombre d’individus rencontrĂ©s admettent avoir dĂ©jĂ  suivi des formations de bureautique Ă  un moment donnĂ© de leur vie.

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Que ce soit par manque de pratique, manque de matĂ©riel adaptĂ© ou par manque d’envie, ces personnes ont perdu les compĂ©tences numĂ©riques apprises. Puisque celles-ci ont Ă©tĂ© oubliĂ©es une fois (a minima !), on peut raisonnablement estimer qu’elles le seront Ă  nouveau par la suite.

Perspective critique : la bureautique est-elle utile Ă  tous ?

De ce qui prĂ©cĂšde dĂ©coule une interrogation lĂ©gitime en tant que mĂ©diateur numĂ©rique : en quoi initier les publics Ă  la bureautique est-il vital ? S’agit-il d’un vĂ©ritable facteur d’émancipation sociale ?

Dans la majoritĂ© des cas, elle est associĂ©e Ă  des enjeux professionnels, comme on l’a dit auparavant. Or, je tiens Ă  rappeler un aspect important : la nature mĂȘme de la bureautique.

DĂ©finition de la bureautique

Source : Wikipédia / (Contenu soumis à la licence CC-BY-SA 4.0. Source : Article Bureautique de Wikipédia en français (auteurs).
Page consultée 4 août 2023 à partir de http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Bureautique&oldid=205080589).

« Selon la dĂ©finition du Journal officiel de la RĂ©publique française (arrĂȘtĂ© du 22 dĂ©cembre 1981) du 17 fĂ©vrier 1982, la bureautique est l'ensemble des techniques et des moyens tendant Ă  automatiser les activitĂ©s de bureau et principalement le traitement et la communication de la parole, de l'Ă©crit et de l'image.
Selon l'Association des sciences et technologies de l'information (anciennement AFCET), le terme bureautique regroupe l'ensemble des techniques et des outils tendant Ă  automatiser les activitĂ©s de bureau. Elle dĂ©signe une assistance aux activitĂ©s de bureau. À ce titre, elle prend en compte les aspects organisationnels, dont ceux de la coopĂ©ration entre des individus actifs Ă  l'intĂ©rieur d'un bureau.
La bureautique se définit aussi comme la technique de production et de communication de documents (textes, audio, images). Les outils bureautiques se classent en trois grandes catégories : les outils de production de document, tels que le traitement de texte, les tableurs et tous les outils spécialisés de production basés sur un métier, les outils de communication principalement les logiciels de courriel, et finalement les outils de conservation tels que les logiciels de gestion documentaire. Ces trois catégories représentent les surfaces traditionnelles du travail de bureau, soit la surface de production, les paniers de réception et d'expédition, et finalement les classeurs.
Un systÚme bureautique (en anglais OSS pour Office Support System) désigne l'ensemble des personnes d'un bureau et des moyens mis à leur disposition pour les assister dans l'accomplissement des tùches tertiaires. »

Des logiciels (in)utiles selon le milieu socioprofessionnel

Par dĂ©finition, la maĂźtrise de la bureautique n’est manifestement pas indispensable pour les corps de mĂ©tiers non tertiaires. Cela change la donne et mĂ©rite d’ĂȘtre considĂ©rĂ© pour repenser notre vision du numĂ©rique, n’est-ce pas ?

Prenons l’exemple concret d’un ouvrier qualifiĂ©, relativement Ă  l’aise avec l'informatique, dont j’ai pu recueillir le tĂ©moignage : il ne voyait pas en quoi la capacitĂ© Ă  crĂ©er des tableaux avec des formules automatiques sur Excel pouvait lui servir, Ă  lui ou Ă  ses pairs. Idem pour Word. Dans les entreprises par lesquelles il est passĂ©, la bureautique relevait du domaine de compĂ©tences du management ou du secrĂ©tariat (emplois tertiaires) ; lorsqu’il devait gĂ©rer des stocks de matĂ©riaux, ĂȘtre en relation avec des clients ou transmettre des rapports d’activitĂ©, il mobilisait des applications ou progiciels spĂ©cialement prĂ©vus Ă  cet effet.

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Les progiciels prennent le pas sur la bureautique traditionnelle. Il est temps de tenir compte de cette Ă©volution technique : l’important, pour les publics, devient la capacitĂ© Ă  apprendre l’usage de ces applicatifs.

Bien sĂ»r, si cet ouvrier a des compĂ©tences et des capacitĂ©s en bureautique, il jouira d’un avantage sur le marchĂ© du travail (situation de candidature). NĂ©anmoins, il peut tout Ă  fait ĂȘtre mĂ©diocre en bureautique, cela ne l’empĂȘchera pas d’ĂȘtre bon ouvrier pour peu que l’employeur mette Ă  sa disposition des outils numĂ©riques adaptĂ©s.

On notera d’ailleurs qu’il y a une certaine indulgence face Ă  de mauvais CV ou lettres de motivation selon les secteurs professionnels, car ce ne sont pas les compĂ©tences et savoir-faire attendus par les recruteurs. Rien de grave donc Ă  ne pas ĂȘtre un as du pack Office, puisqu’il s’agit plutĂŽt d’un bonus.

Dans le mĂȘme ordre d’idĂ©e, je vous invite Ă  vous poser la question : quand vous faites appel Ă  un artisan ou un spĂ©cialiste (quel que soit son domaine), prĂ©fĂ©rez-vous qu’il maĂźtrise la bureautique ou les gestes techniques de son mĂ©tier ?

Un biais institutionnel possible

Un Ă©lĂ©ment devrait chatouiller les rĂ©flexions de quiconque envisage les rapports sociaux sous l’angle des luttes de classes. En effet, les publics en situation d’illectronisme font majoritairement partie des classes populaires, tandis que les institutions (reflet de la classe dominante) baignent dans un environnement tertiaire.

Il ne me semble pas absurde d’émettre l’hypothĂšse que les agents institutionnels aient un biais de reprĂ©sentation. Puisque la bureautique est essentielle Ă  l'accomplissement de leurs tĂąches, ils sont en position d’estimer ces techniques utiles Ă  tous, et donc de les imposer Ă  l’ensemble du corps social en tant que norme. Ceci expliquerait en partie le nombre important de prescriptions de formations Ă  la bureautique, adaptĂ©es ou non aux besoins rĂ©els des individus, et leur financement.

Interroger le rapport Ă  l’écriture manuscrite et tapuscrite

On m’objectera sans doute qu’il est important aujourd’hui de savoir rĂ©diger ses courriers Ă  l’ordinateur, et qu’à ce titre le traitement de texte doit ĂȘtre maĂźtrisĂ©. Je ne nie pas l’utilitĂ© de cette compĂ©tence ou son enseignement dĂšs l’enfance, et j’apprĂ©cie de la transmettre, toutefois, je vous le demande : en quoi la capacitĂ© Ă  Ă©crire une lettre par logiciel de traitement de texte est-il supĂ©rieur Ă  la capacitĂ© Ă  Ă©crire de façon lisible la mĂȘme lettre avec un stylo et une feuille ?

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La chose s’oublie, mais rĂ©diger un courrier, un CV, un roman, un dossier ou n’importe quel texte peut s’accomplir sans passer par l’informatique. Idem pour des calculs mathĂ©matiques. C’est l’acceptabilitĂ© sociale de l’écriture manuscrite (notamment par les institutions et les entreprises) qui pose problĂšme.

L’illectronisme n’est pas l’illettrisme

Loin de moi l’idĂ©e de tenir des propos rĂ©trogrades, cependant je remarque qu’imposer le traitement de texte comme l’unique norme de l’écrit constitue un autre biais de raisonnement, nourri par le mythe du progrĂšs technologique Ă©radiquant les anciennes techniques. Dans un registre proche, relevons l’anecdote malheureuse du demandeur d’emploi radiĂ© pour avoir envoyĂ© ses candidatures par la Poste et non par mails.

Avis aux amateurs de pensĂ©e critique, je vous invite Ă  lire l’excellent « Mythologies » de Roland Barthes, qui aborde la façon dont se crĂ©ent nos imaginaires culturels et comment les questionner.

La notion d’autonomie du public

Revenons Ă  nos moutons. Certes, les tapuscrits sont plus aisĂ©s Ă  lire que des manuscrits ; c’est Ă©vident. NĂ©anmoins, en cas de difficultĂ©s avec la bureautique (considĂ©rĂ©es comme une marque d’illectronisme), il devrait ĂȘtre du droit de chacun d’opter pour Ă©crire Ă  la main.

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L’autonomie rĂ©elle consiste-t-elle Ă  savoir Ă©crire et mettre en page un texte, Ă  effectuer des calculs et appliquer des formules ? Ou revient-elle Ă  maĂźtriser des logiciels pour accomplir les mĂȘmes fonctions ? Il faudrait sans doute juger la bureautique comme une maniĂšre de faire parmi d’autres, et non la seule valable.

Quitte Ă  prendre le risque de sombrer dans le old school complet, un individu peut dĂšs lors ĂȘtre estimĂ© autonome tant qu’il se trouve assez Ă  l’aise en français et en mathĂ©matiques. Au pire des cas, il aura toujours la possibilitĂ© de passer par une Ă©tape de brouillon ou de relecture.

Et l’illettrisme dans le cadre de la mĂ©diation numĂ©rique ?

Concernant les personnes en situation d’illettrisme ou d’analphabĂ©tisme, je ne vois pas comment on peut attendre d’elles qu’elles maĂźtrisent des logiciels de bureautique sans rĂ©soudre en amont leurs difficultĂ©s avec l’écrit et le langage. Ne l'oublions pas, l’informatique est un environnement oĂč le texte est roi ; cet Ă©lĂ©ment doit ĂȘtre pris en compte par les acteurs institutionnels.


DĂ©laisser la prescription de formation pour mieux orienter les individus

Le risque du propos qui prĂ©cĂšde serait d'affirmer que, puisqu’un corps de mĂ©tier ne mobilise pas la bureautique, il serait inutile de former les gens. Ce n’est pas mon idĂ©e, car cela reviendrait Ă  thĂ©oriser leur maintien dans une position sociale dont ils peuvent avoir lĂ©gitimement l’ENVIE de s’extirper. Si tel est le cas, l’apprentissage de la bureautique devient alors dĂ©sirable – lĂ  rĂ©side toute la diffĂ©rence.

J’ai pu le constater avec de multiples apprenants : la volontĂ© individuelle est la clef pour que des actions de mĂ©diation numĂ©rique portent leurs fruits. Entre l’accompagnement, les Moocs, les tutoriels et les fiches pĂ©dagogiques existant sur l’internet, toute personne engagĂ©e dans une logique de progression et avec un minimum de curiositĂ© peut monter en compĂ©tences. Il « suffit » de la guider. D’ouvrir les bonnes portes. J’ai ainsi observĂ© des bĂ©nĂ©ficiaires s'Ă©lever d’un niveau de dĂ©pendance numĂ©rique absolu Ă  un niveau d’autonomie correct, ce en l’espace de quelques semaines. J’y vois la preuve que la chose est rĂ©alisable.

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Tout individu qui dĂ©sire se former Ă  la bureautique devrait en avoir la possibilitĂ© tant qu’il s’agit de l’expression d’une volontĂ© personnelle. En revanche, systĂ©matiser la prescription de formations Ă  la bureautique pour remĂ©dier au manque de compĂ©tences numĂ©riques de tous constitue une erreur de ciblage.

La dimension Ă©mancipatrice du numĂ©rique prend alors tout son sens, puisqu’elle devient une aspiration de l’individu et non un ordre imposĂ© par le corps social dominant.


Quel avenir pour la formation en bureautique ?

Il me paraĂźt opportun de conclure dĂ©sormais. Faut-il en finir avec la prescription de formations en bureautique ? La question initiale peut sembler triviale, nĂ©anmoins force est de constater qu’elle soulĂšve beaucoup de points intĂ©ressants.

Nous avons abordĂ© diffĂ©rentes sortes de freins concernant ce type de formation dans le cadre de la mĂ©diation numĂ©rique, tant du cĂŽtĂ© institutionnel (logique de logiciel propriĂ©taire payant, dĂ©faut de diagnostic des compĂ©tences) que du cĂŽtĂ© des apprenants (manque d’équipement, de moyens financiers ou d’envie, le risque d’oubli et d’inutilitĂ© pratique). Nous avons Ă©galement pu prĂ©ciser quelques biais dans la reprĂ©sentation mentale et sociale de la bureautique (rapport Ă  l’écrit, rapport de domination entre classes sociales, dĂ©finition de l’autonomie) Ă  prendre en considĂ©ration.

La bureautique est, en quelque sorte, l’arbre qui cache la forĂȘt. Ne pas la maĂźtriser est un stigmate social aux yeux des institutions, alors qu’en dehors de cet environnement, elle se trouve ĂȘtre une compĂ©tence au mieux secondaire, au pire inutile, qui naturellement s’atrophie faute d’ĂȘtre mobilisĂ©e. Impossible dans ces conditions de blĂąmer un public se moquant Ă©perdument de monter en compĂ©tences sur le numĂ©rique quand ce qu’on lui impose ne rĂ©pond en aucun cas Ă  ses besoins. Les prescriptions ne fonctionnent ainsi que dans un cas : celui oĂč les individus aspirent Ă  se former, expriment une demande rĂ©aliste et s’engagent en ce sens.

Pour le dire autrement : la bureautique n’est pas la panacĂ©e pour tous les publics, et ne le sera sans doute jamais.

En fin de compte, ce que nous devrions interroger quand on parle d’inclusion numĂ©rique est l’acceptabilitĂ© sociale de certaines formes d’illectronisme. Pour celles et ceux dans ce cas, ce qui manque n’est alors ni plus ni moins que des moyens humains pour les accompagner et rĂ©pondre Ă  leurs besoins, le tout sans leur imposer un environnement culturel et technologique contraignant.

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