âđŒĂcriture crĂ©ative : Comprendre le concept du Monomythe de Campbell
Comprendre la thĂ©orie du monomythe de Campbell et son intĂ©rĂȘt pour l'Ă©criture crĂ©ative, notamment en ce qui concerne le parcours du hĂ©ros.
Souvent invoquée, rarement résumée simplement, la théorie du monomythe de Campbell est l'une des pierres angulaires de l'écriture de scénarios moderne.
Si un auteur dĂ©sire crĂ©er des histoires tenant la route, avec des personnages forts et capables de rencontrer un Ă©cho puissant auprĂšs du public, il a tout intĂ©rĂȘt Ă intĂ©grer cette thĂ©orie dans son approche crĂ©ative.
Je vous propose ici de (re)dĂ©couvrir cette rĂ©fĂ©rence incontournable sur la fabrique des hĂ©ros, et synthĂ©tiser ce que recouvre le concept de monomythe. Vous serez alors mieux Ă mĂȘme de concevoir vos propres rĂ©cits.
Qu'est-ce que le monomythe de Campbell ?
La théorie du monomythe, c'est que les grands récits de la mythologie (occidentale du moins) reposent sur une structure commune à partir de laquelle les auteurs brodent des variations de leur cru. Cette structure commune, si l'on se fie à J. Campbell, repose sur l'évolution du personnage principal tout au long du récit.
Pour passer du statut de simple pĂ©on Ă celui de hĂ©ros, il doit passer par 17 Ă©tapes prĂ©cises â abordĂ©es plus loin. C'est ce qui, en scĂ©narisation, se nomme une progression symbolique.
L'individu passe ainsi du particulier à l'universel, du spécifique à l'archétype, du commun à la légende.
Certes, ce principe a tout l'air d'une recette de blockbuster ou de futur Goncourt, mais évitons de prendre des vessies pour des lanternes. La structure est tellement balisée qu'il faut faire preuve de discernement, subtilité et rouerie pour ne pas se faire démasquer. Sinon, on se retrouve avec un archétype balourd, dont n'importe quel enfant de cinq ans peut discerner les ficelles.
Admettons que je surestime peut-ĂȘtre les capacitĂ©s d'un enfant de cinq ans sur ce coup ; cela dit, vous cernez l'idĂ©e.
Jeu d'analyse de scénario
Vous demandez un exemple, pour s'amuserâŻ? Lancez n'importe quel film qui a eu un tant soit peu de succĂšs ces derniĂšres annĂ©es et cochez les Ă©tapes qui suivent Ă mesure de la progression du filmâŻ! Si vous avez la flemme de jouer, vous pouvez aussi vous contenter de lire le rĂ©sumĂ© en dessous.
Structure narrative du Monomythe
Créer un parcours du héros en 17 étapes
SynthÚse de la théorie du monomythe
Voici l'ensemble du parcours 'traditionnel' des héros, tel que décrit par l'analyse de Campbell.
La séparation
- L'appel de l'aventure : Le personnage principal commence dans une situation de normalitĂ© complĂšte. Un Ă©vĂ©nement ou une information le pousse Ă tout abandonner pour se lancer dans une quĂȘte.
- Le refus de l'appel : Souvent, lorsque le futur héros reçoit l'appel, il refuse de se jeter à l'eau par sens des obligations, devoir, peur ou autre raison jugée valable sur le coup.
- L'aide surnaturelle : Lorsque le hĂ©ros se lance dans la quĂȘte, il reçoit de l'aide ou voit apparaitre un guide (le plus frĂ©quemment magique dans les deux cas).
- Franchir le seuil : C'est le moment oĂč le hĂ©ros franchit une bonne fois la limite entre le monde qu'il connaissait et pĂ©nĂštre dans un univers inconnu et dangereux dont il ignore les limites.
L'initiation
- Dans le ventre de la bĂȘte : SĂ©paration finale entre le hĂ©ros et le monde normal. Il est dĂ©sormais trop tard pour revenir en arriĂšre, les dĂ©s sont jetĂ©s. En accomplissant cette Ă©tape, le hĂ©ros montre sa volontĂ© de se mĂ©tamorphoser.
- Le cheminement : Série de confrontations, de tests, de missions. Si le héros veut entrer dans la légende, il doit les réussir. Parfois il échoue, souvent aprÚs trois épreuves. La symbolique du trois est importante, notamment dans le cadre des contes.
- Rencontre avec la divinitĂ© : C'est le moment oĂč le hĂ©ros expĂ©rimente une Ă©motion profonde lorsqu'il dĂ©couvre un pouvoir/un amour/une entitĂ© qui le dĂ©passe.
- La tentation : Le hĂ©ros est exposĂ© Ă diverses tentations susceptibles de le pousser Ă abandonner sa quĂȘte ou Ă laisser de cĂŽtĂ©.
- Tuer le pÚre : Le héros se confronte à celui/celle/ce qui détient le pouvoir ultime. Souvent, il s'agit d'une figure patriarcale avec un droit de vie ou de mort. Les amateurs de Freud se régaleront avec cette étape. Il s'agit du point central du monomythe.
- L'ordalie : Le héros fait face à sa propre mort, accédant alors à une forme de connaissance quasi divine de l'univers.
- L'ultime rĂ©compense : La quĂȘte prend fin, les objectifs du hĂ©ros sont remplis. Toutes les Ă©tapes prĂ©cĂ©dentes servaient Ă le mener Ă ce point de l'histoire.
- Le refus de revenir : AprĂšs l'immersion dans le monde magique de la quĂȘte, le hĂ©ros peut refuser de retourner dans le monde rĂ©el et laisser le butin de sa quĂȘte Ă la personne qui l'accompagne.
Le retour dans le monde réel
- L'échappée belle : Parfois le héros doit s'échapper avec le butin. Il peut s'agir d'un voyage aussi dangereux que l'aller.
- Soutien post-quĂȘte : Souvent le hĂ©ros nĂ©cessite un-e guide pour le ramener Ă la normalitĂ© quotidienne. D'autant plus si le hĂ©ros a Ă©tĂ© blessĂ© ou diminuĂ© lors de son expĂ©rience... Et puis, ça donne le blues d'avoir achevĂ© la quĂȘte et de savoir qu'on n'aura rien de plus exaltant Ă faire par la suite.
- Franchir le seuil du retour : Ayant accédé à la sagesse, le héros revient parmi les siens pour partager son expérience.
- Maßtre des deux mondes : Le héros achÚve de concilier le réel et le spirituel, le monde du dedans et le monde du dehors.
- Liberté de vivre : En affrontant sa peur de mourir, le héros a gagné la liberté de vivre comme il l'entend. La récurrence veut que cela signifie savourer chaque instant présent, sans anticiper le futur ni regretter le passé.
L'influence de la théorie du Monomythe
Une approche qui fait Ă©cho Ă d'autres analyses
Théorie du monomythe adaptée au cinéma
La théorie de Campbell, exprimée dans l'ouvrage « Le héros aux mille et un visages » (1949), a profité d'un lifting par le script-doctor Christopher Vogler.
Dans une volonté d'adapter les théories de Campbell pour le cinéma, Vogler a publié « Le guide du scénariste » (1992), devenu depuis sa parution une des références principales chez les scénaristes.
Sous son impulsion, le monomythe initial a Ă©tĂ© rĂ©duit de 17 Ă 12 Ă©tapes, qui s'adaptent plus aisĂ©ment Ă la vie d'un ĂȘtre humain normal. Car bon, avouons-le, on ne va pas vivre les mĂȘmes choses qu'un Hercule ou un autre demi-dieuâŠ
Mais ni Vogler ni Campbell ne sont les seuls à avoir planché sur la question.
En 1928, le Russe Vladimir Propp dĂ©cortiquait dĂ©jĂ les contes populaires pour en dĂ©gager une structure commune. Il en a tirĂ© un ouvrage extrĂȘmement complet : « Morphologie du conte », livre que, Ă titre personnel, je prĂ©fĂšre aux ouvrages citĂ©s prĂ©cĂ©demment. Certes l'essai date un peu, toutefois le propos est encore d'actualitĂ© quant Ă la technique de construction d'un rĂ©cit. Il y a d'ailleurs fort Ă parier que Vogler ait eu connaissance de l'ouvrage lors de la rĂ©daction du sien.
Pour celles et ceux que cela intéresserait, voir l'article sur la morphologie du conte:
Anthropologie du mythe
Enfin, amusons-nous à faire un détour vers les sciences humaines.
à bien réfléchir, il est possible de faire un parallÚle entre les étapes du monomythe de Campbell et celles des rituels tels que décrits en anthropologie.
Le mystique qui est sommé d'intercéder avec les esprits, l'isolement par rapport au monde physique, l'utilisation de substances ou de rites pour accéder à d'autres réalités, la discussion/confrontation avec les esprits, le retour vers le peuple avec la réponse à la grande question...
Franchement, ça ne vous rappelle pas le schéma en haut de l'article�
En bref comme en cent, le monomythe reposerait en grande partie sur le vécu personnel des premiers conteurs, qui à l'origine ne furent autres que les mystiques/shamans/rayez-la-mention-inutile/personnes en charge de la spiritualité tribale.
Ce qui expliquerait pas mal de chosesâŠ
Une question demeure en suspens.
Une grande part des scénaristes a connaissance des travaux de Joseph Campbell, Christopher Vogler et Vladimir Propp.
Si les archétypes qu'ils décrivent rencontrent un tel écho auprÚs du public et des auteurs, est-ce parce que depuis la nuit des temps les créateurs d'histoire nous ont tellement habitués à ce schéma (le leur) que nous sommes incapables de concevoir une histoire d'une autre maniÚre� Et enfin, à quel point peut-on s'affranchir de tels modÚles�
Si vous avez des suggestions, je suis preneur.
Bibliographie d'écriture de scénario liée au Monomythe
- « Le héros aux mille et un visages », Joseph Campbell
- « Le guide du scénariste », Christopher Vogler
- « Morphologie du conte », Vladimir Propp
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