đŸ±â€đŸBibliographie : La morphologie du conte de Vladimir Propp... ou l'art de bĂątir un rĂ©cit

Introduction aux travaux de Vladimir Propp sur la structure narrative du conte, une influence mĂ©connue et pourtant majeure pour les crĂ©ateurs et crĂ©atrices d’histoires.

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Photo by Clem Onojeghuo / Unsplash

Il existe bien des façons de raconter une histoire, mais rares sont celles qui permettent de les structurer de maniÚre infaillible.

Pour nourrir mes techniques d'Ă©criture crĂ©ative, je m'appuie depuis des annĂ©es sur les thĂ©ories et travaux de Vladimir Propp. Ce chercheur Russe est l'auteur de l'essai « Morphologie du conte », paru au dĂ©but du siĂšcle dernier. Ce livre est une influence majeure depuis sa parution, et mĂ©rite d'ĂȘtre mieux compris par les auteurs, conteurs et scĂ©naristes.

Je te propose ci-dessous une synthÚse des points à retenir qui en sont issus, afin de stimuler ton propre processus de création.


Qui Ă©tait Vladimir Propp ?

Vladimir Propp - L'auteur de "Morphologie du Conte"

Biographie

Pour rĂ©sumer dans les grandes lignes, Vladimir Propp est un folkloriste russe, nĂ© en 1895 et mort en 1970. Il enseigne l’ethnologie Ă  l’universitĂ© de Leningrad (Saint-PĂ©tersbourg) Ă  partir de 1938, oĂč ses cours sur le conte Ă©taient particuliĂšrement estimĂ©s.

C'est en 1928 que ce chercheur passionnĂ© a publiĂ© son Ɠuvre la plus connue : « Morphologie du conte Â», que je vais rĂ©sumer par la suite.

En plus d'ĂȘtre concis, l'ouvrage a le mĂ©rite d'ĂȘtre d'une grande clartĂ© et Ă  la portĂ©e de tous les curieux. Je ne saurais trop en conseiller la lecture Ă  celles et ceux qui dĂ©sirent Ă©crire des rĂ©cits courts.

MĂ©thode d’écriture : pourquoi parler de Vladimir Propp ?

C'est Ă  dessein que j’aborde son sujet. L’une des questions rĂ©currentes auxquelles on a droit, quand on se pique de crĂ©ation littĂ©raire, est « Comment faites-vous pour construire de telles histoires ? » ou « Quelle est votre technique d’écriture ? ».

Je ne considĂšre pas avoir une recette, nĂ©anmoins j’admets volontiers qu’une bonne partie des textes peuplant mon recueil de nouvelles « Vicissitudes » s’appuient sur les thĂ©ories de l’ami Vladimir.

Comme j’ai pu l’expĂ©rimenter, il est possible de mobiliser ces derniĂšres aussi bien lors des phases d’écriture que de corrections de texte.

Autant dire qu’il s’agit d’un atout technique considĂ©rable, que je tiens Ă  partager avec d’autres auteurs-crĂ©ateurs qui n’en auraient pas connaissance.

Accessoirement, un peu de thĂ©orie fait toujours du bien pour remettre en question ses mĂ©thodes d’écriture.


Qu'est-ce que la morphologie du conte ?

La morphologie, pour rappel, est la description de l'ensemble des caractĂ©ristiques d'un sujet — en l'occurrence, le conte. Le genre a beau ĂȘtre antĂ©diluvien, il demeure indĂ©trĂŽnable pour concevoir des histoires courtes et riches en symboliques accessibles Ă  tous.

À mon sens, c’est un peu la quintessence de l’histoire, d’autant plus qu’on peut le rapprocher des rĂ©cits mythologiques.

Dans le cadre de ses recherches, Propp a tenu à vérifier s'il existait ou non des motifs narratifs typiques, récurrents et transmissibles d'un conteur à l'autre.

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Un schéma, pour guider les conteurs et dans l'archétype les lier...

Or, cette intuition fut la bonne ! En s’appuyant sur un large corpus de contes populaires, le folkloriste russe est parvenu Ă  identifier ce schĂ©ma et son fonctionnement.

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Les fonctions du conte d’aprùs Vladimir Propp

Propp base sa réflexion sur quatre points essentiels :

  1. Les éléments constants, permanents, du conte, sont les fonctions des personnages, quels que soient ces personnages et quelle que soit la maniÚre dont ces fonctions sont remplies. Les fonctions sont les parties constitutives fondamentales du conte.
  2. Le nombre de fonctions que comprend le conte merveilleux est limité.
  3. La succession des fonctions est toujours identique.
  4. Tous les contes merveilleux appartiennent au mĂȘme type en ce qui concerne leur structure.

Pour que ce soit plus clair, prĂ©cisons que, par fonction, il faut comprendre « l’action d’un personnage, dĂ©finie du point de vue de sa signification dans le dĂ©roulement de l’intrigue. Â»

😁
Nous avons ainsi à disposition un nombre limité de fonctions, modulables à volonté entre elles tant qu'on respecte l'ordre nécessaire à leur accomplissement.

Structure commune Ă  tous les contes

Ainsi, peu importe ce qu'on veut écrire dans un conte, on va forcément utiliser à un moment les fonctions décrites par Vladimir Propp.

Un conteur aura beau jeu d’inventer de nouveaux personnages, de nouveaux attributs ou de nouveaux noms, en aucun cas il ne rĂ©inventera leur rĂŽle fondamental dans la progression de l’intrigue.

🙃
Admettre ce principe de dramaturgie invite Ă  une certaine modestie : quelle que soit notre originalitĂ©, nous n’allons pas rĂ©volutionner les fondamentaux du genre.

Puisque l'articulation des fonctions, la structure du conte donc, s'avĂšre invariable, tout ce que nous pouvons faire en tant qu’auteurs est d’acter son existence et s'arranger avec. La crĂ©ativitĂ© du conteur rĂ©side dĂšs lors dans les formes qu'il emploie, dans l'originalitĂ© et la beautĂ© de l'univers qu'il dĂ©crit.

MĂȘme si les thĂšses de Propp laissent assez de place pour s'exprimer — heureusement ! - elles invitent Ă  relativiser et Ă  examiner avec humilitĂ© ce que l'on Ă©crit. Le conteur est un recycleur avec des pinceaux chargĂ©s de couleurs. Ni plus ni moins.

La morphologie du conte pour l'analyse de scénario

Ami lecteur, veux-tu que j'exprime le fond de ma pensée ?

La morphologie du conte, simple, sobre et efficace, est un sublime argument Ă  coller contre la tempe d’écrivain.e.s dont l'orgueil rĂ©side dans la conception alambiquĂ©e de rĂ©cits, ou contre le front de leurs lecteur.ice.s extatiques.

Car oui, on peut tout Ă  fait s'amuser Ă  dĂ©composer un roman ou un scĂ©nario, mĂȘme labyrinthique ou gorgĂ© de flashbacks en se servant des travaux de Propp. Il est aisĂ© de retrouver l'archĂ©type qu'il a dĂ©montrĂ©.

Une fois qu'on a saisi ceci, écouter qui que ce soit gloser et pavoiser sur la « folle inventivité dans la structure de ce texte » devient une perte de temps.

Une structure narrative, aussi extraordinaire soit-elle, n'est qu'une structure, rien de plus. Elle ne fait pas tout ! Encore faut-il avoir quelque chose Ă  dire, quelque chose Ă  raconter, comme peuvent le faire des auteurs tels que Hal Duncan, pour ne citer que lui. LĂ , d'accord, la question de la structure devient bluffante.

Autrement, il s'agit juste d’esbroufe et de pose mĂ©diatique.


Écrire un conte traditionnel : Ă©quation Ă  deux paramĂštres

Mais je cesse là la digression, revenons à nos moutons. En bref comme en cent, une histoire repose sur deux éléments, à savoir les personnages et les évÚnements vécus.

Pour écrire un conte, il faut tenir compte des spécificités de chaque fonction et de ses enchaßnements logiques.

Les événements du conte

L’histoire se dĂ©roule toujours selon un ordre bien prĂ©cis, rĂ©sumĂ© par la formule Ă  l'apparence barbare ci-dessous. Pas d'affolement, la signification rĂ©side dans le tableau disponible en .pdf tĂ©lĂ©chargeable ci-dessous.

ÎČ Îł ÎŽ Δ ζ η Ξ A B C ↑ D E F G {H/M I J/N} K ↓ Pr-Rs O L Q Ex T U Wo

Cet ordre est immuable, nĂ©anmoins chaque Ă©tape peut ĂȘtre zappĂ©e individuellement. Du moins tant que l’histoire dĂ©crite reste cohĂ©rente. Quitte Ă  rabĂącher, rĂ©pĂ©tons-le : l'essentiel est l’articulation des fonctions entre elles. C'est ainsi qu'on peut se trouver avec des structures telles que :

ÎČ A B C ↑ D E F G H I J K

Bien entendu, le pdf ne comprend que les fonctions générales. En pratique, celles-ci se subdivisent en de nombreuses variantes, ce qui explique la diversité et l'originalité des contes. La lecture de l'ouvrage de Propp, que cet article ne peut prétendre résumer entiÚrement, permettra d'approfondir plus avant la question.

Il est Ă  noter que certaines fonctions possĂšdent trois variantes :

  1. Pos : résultat positif de la fonction
  2. Neg : résultat négatif de la fonction
  3. Contr : résultat opposé à la signification de la fonction

Par exemple, si le hĂ©ros ne rĂ©agit pas de la bonne façon au donateur, il faut noter E neg lorsque l'on compose sa formule. Cela permet de nuancer l'analyse de la progression de l'histoire. C'est que tout ne saurait pas ĂȘtre rose pour nos hĂ©ros ! Eux aussi ont le droit de se planter, de temps Ă  autre...


Les fonctions de personnages de Propp

En parlant de hĂ©ros, d'ailleurs
 Vladimir Propp distingue 7 fonctions de personnages qui sont, parfois, cumulĂ©es par un seul protagoniste de l’histoire ou rĂ©parties entre plusieurs d’entre eux. Ces fonctions apparaissent au fil du rĂ©cit Ă  un moment dĂ©terminĂ©, et disposent d'une sphĂšre d'action limitĂ©e Ă  certains passages.

Jugez plutĂŽt :

  • L’agresseur. Il apparaĂźt deux fois dans le courant de l’action : la premiĂšre fois, par surprise ; la seconde, parce que le hĂ©ros le cherche. SphĂšre d’action = A, H, Pr.
  • Le donateur. Il est rencontrĂ© par hasard, la plupart du temps Ă  un dĂ©tour de campagne. SphĂšre d’action = D, F.
  • L’auxiliaire. L’auxiliaire magique est introduit en tant que don (F). SphĂšre d’action = G, K, Rs, N, T.
  • La princesse (le personnage recherchĂ©) et son pĂšre. Fait partie de la situation initiale. SphĂšre d’action = M, J, Ex, Q, U, W.
  • Le mandateur. Fait partie de la situation initiale. SphĂšre d’action = B.
  • Le hĂ©ros. Fait partie de la situation initiale. SphĂšre d’action = C↑, E, W. Le C↑ ne concerne que le hĂ©ros quĂȘteur, le hĂ©ros-victime n’accomplit que les autres.
  • Le faux hĂ©ros. Fait partie de la situation initiale. SphĂšre d’action = C↑, Eneg, L.

En marge, il existe des personnages spéciaux qui forment la liaison entre les fonctions du conte. Dans tous les cas, les actions des personnages font écho à leur fonction dans l'intrigue, à nouveau.

Enfin, les attributs des personnages, la caractĂ©risation de ceux-ci, sont du ressort de l’imagination du conteur. Il y a alors de quoi se faire plaisir. Dans le genre, « Bilbo le Hobbit » constitue un exemple parfait.


La recette ultime pour écrire un scénario de blockbuster ?

On pourrait croire que l'analyse menĂ©e par Propp est une mĂ©thode infaillible pour concevoir des contes, une recette facile Ă  blockbusters... Dans les faits, cela se conteste, et plutĂŽt deux fois qu’une.

Certes, utiliser les tableaux de Vladimir Propp permet de mieux travailler sa structure narrative, c'est indĂ©niable ; de lĂ  Ă  prĂ©tendre qu'il y a moyen de crĂ©er automatiquement des chefs d’Ɠuvre avec, il y a un monde !

Une structure narrative est un simple squelette d’histoire, une base sur laquelle on doit ensuite broder, mais en aucun cas il ne s’agit de la substantifique moelle de l'histoire. Cela, c'est à nous, en tant qu’auteurs, de l'apporter.

J’ose croire en tout cas que comprendre les thĂ©ories de Propp nous facilite la vie, et offre une excellente base sur laquelle concevoir de nouvelles histoires Ă  partir d’un canevas traditionnel.

À vous de tester pour voir ce qu’il en est !

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Cet article est diffusé par l'infolettre de Florent Salem. Ces publications sont l'occasion de mettre en perspective notre rapport humain aux technologies numériques, mais aussi d'explorer diverses thématiques qui m'importent.

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